Post-diplôme 2014 : Alexandrine Leclère et Julie Fruchon

Alon

Dans cette anticipation alimentaire, une société végétarienne ré-envisage une consommation carnée dont l’innovation serait que cette viande soit consentante… Au delà d’ouvrir un débat, nous avons souhaité traiter de la viande, de façon décalée et remettre en question la place centrale qu’elle occupe dans la gastronomie française. Puis nous avons imaginé des objets qui accompagneraient de nouveaux modes de consommation ou, du moins, porteraient nos questionnements.
SACRÉE CARNE
« Nous situons notre narration en post-France. On fabrique par manipulations des poules sans plume et des moutons sans laine. Les animaux deviennent donneurs d’organes. Ils prennent la forme et le principe du kebab, une structure osseuse centrale et tubulaire autour de laquelle est compactée une masse de chair informe, très facile à débiter. Les chercheurs pensent avoir atteint un sommet technologique. La viande est travaillée au plus infime de sa matière, la chair est ensuite compactée et moulée, offrant le simulacre de produits d’une extrême qualité. Les consommateurs sont dupés. Un scandale accompagne la découverte de la réalité de cette production. Une grève de la viande sans précédent se met en place. Pendant des semaines, le sol des villes est jonché de barquettes plastiques gonflées à bloc. Cette indignation prend l’aspect d’une remise en cause du carnisme. Vu alors comme un plaisir construit sur une vieille habitude sociale. Toute utilisation animale est rejetée. C’est l’avènement du régime Vegan, né d’un soulèvement social. Le monde se porte bien. Au début de cette transition alimentaire, certains essaient de reproduire des trompe-l’œil carnés. Ces pratiques tendront à s’estomper. A la Tour d’Argent, le «canard au sang» est canonisé. On y déguste à présent les légumes de l’île-Saint-Louis, dont on peut admirer le maraichage à la française depuis la vue panoramique. Le met d’excellence est aujourd’hui, la «crapaudine au jus», une betterave ancienne cuite par osmose dont on extrait un jus savoureux enrichi en protéines par un brie de luzernes germés. Une réminiscence mystique creuse un manque, dans l’esprit plus que dans le corps des mangeurs. La croyance qui conférait à la viande un aspect magique est rediscuté au sein d’un petit groupe de penseurs, questionnant les pratiques alimentaires dites primitives, Le carnisme et ses articulations spirituelles. Dans un cadre gastronomique, et respectant les principes Vegan, ils envisagent une viande issue d’un corps d’humain consentant. La rencontre entre culturisme et gastronomie française se dessine. La maison Bonduelle, elle, y voit un attrayant marché et met rapidement en place un nouveau type de culture. Dédiant ses plus beaux espaces, à la construction d’un centre où seront accueillis dans des conditions idylliques les sujets humains de dégustation. La sélection sous forme de concours mensuel est ouverte. Les Culturistes se proposent librement, le défi n’est plus seulement d’être beau, d’être gros mais d’être bon. Et être bon résulte d’un travail d’exigence. Les muscles s’entassent et les médias se pressent. L’un d’eux affirme vouloir être le premier homme de l’histoire cuisiné par un grand chef. Il explique qu’il envisage son absorption par d’autres comme une façon de distribuer sa force. Il a été noté par les néo-gastronomes, la succulence des sujets sensibles à l’art. La chair serait plus savoureuse, les arômes plus complexes. Le vainqueur part en entrainement pré-dégustatif. Un nouveau type de grandes maisons se consacre au service de plats, élaborés avec cette viande. Le chef compose différents plats, conscient de la charge historique et symbolique des mets. Ces dégustations spéciales sont selon les restaurants, l’occasion d’opulents buffets ou de plusieurs services. Les goûteurs réservent sur un coup de coeur. Ils peuvent se renseigner sur la personne qu’ils ingèreront et qui les habitera. Les gourmets correspondent à une élite, à la fois avant-gardiste et nostalgique du régime carniste et des anciennes traditions culinaires. » Alon