Post-diplôme 2014 : Aurélie Vasnier
1. Process De manière constante, j’opère des déplacements de matériaux comestibles pour les transposer dans un autre espace que celui de la cuisine ou du laboratoire. De même j’utilise des matériaux et outils hétéroclites, loin de l’outillage du cuisinier ou du pâtissier pour travailler l’alimentaire : textile, résille, jouets, grillage à poules, planches, pavés, carton, plaques et grilles métalliques…). Enfin je porte une attention toute particulière à la mal façon, au raté, à la coulure, au trop plein, au rebut, à la rognure, au déchet de la matière, tous ces éléments déconsidérés par le professionnel des métiers de bouche, en marge du produit fini et qui ne sortent jamais de l’espace de fabrication. Je joue avec les échelles, pour inviter à voyager dans un imaginaire créé par la matérialité comestible. Je me joue des formes attendues d’une pièce en sucre, d’une brioche ou d’une guimauve, en intervenant sur la matière en devenir. Je la manipule lorsqu’elle change d’état, comme un confiseur travaille le sucre, en me concentrant sur ce que la matière donne à voir et à rêver. Avec mes outils de plasticienne, j’ai élaboré cette recherche sur la matière, comme la mise en place d’un processus. Il me permet de générer une forme, un motif, qui valorise l’aléatoire de l’écoulement, d’une matière comestible, au travers d’une trame. Le produit alimentaire passe par des milliers de filtres qui font que nous nous reconnaissons dans notre alimentation. Il y a ces filtres de la pensée et les filtres physiques. Multiples sont les processus de filtration : pressurage, foulage, essorage, tamisage, clarification, décantation, réduction, centrifugeuse… Pour que le produit alimentaire soit « valide » il passe souvent par le calibrage qui le fera devenir « beau et bon ». En passant par la trame physique, il passe conjointement par le filtre de la pensée et devient alors valide. Réinterprétant la notion de calibrage, tout en respectant la recette, j’interviens à un moment du process de fabrication ou de la mise en forme de la matière comestible pour la laisser s’échapper. L’aléatoire crée un motif 3D dont la richesse formelle tient à la plasticité même de la matière.
2. Guimauve Cet ensemble d’expérimentations est basé sur la trame et le passage d’une guimauve dense et pure, qui interpréte les notions de calibrage et de pression. La pression exercée au-dessus, pour générer une matière au-dessous, reprend l’opposition entre l’espace consacré au temps du repas, le dessus de table, et l’espace sous le plateau, le dessous de table. Le plateau crée une frontière entre deux mondes : entre trivialité et sophistication, entre licite et interdit, entre bienséance et mauvaises manières. La préciosité mise en place dans les matières du goût réside également dans la manière de présenter, de s’approprier et de déguster, accompagnée de rituels qui nourrissent le plaisir et son mystère. « La trivialité de l’acte de se nourrir est souvent déconsidérée. Mon intérêt est dans la rencontre de mondes qui jusque là semblaient s’ignorer. Quand le brut, l’animal, le trivial ou le grossier télescopent l’hyper sophistication, quand le « primitif » s’invite à la table d’un cinq étoiles. Dans cette recherche, je souhaite susciter les appétits tout en titillant les répulsions. » Une installation de table portative scénographie la plasticité d’une guimauve dense et élastique. Elle permet de rendre compte d’une action et du temps de l’écoulement en direct, là où, habituellement, ce qui se trouve dans l’assiette est statique. Il s’agit de montrer la richesse d’une matière sous une forme inattendue, de sublimer la coulure, le trop plein de matière et le dépôt, de créer un moment raffiné à partir d’une installation et d’une matière simples, dejouer avec les contrastes, les textures et les changements d’états. Dans un premier temps de dégustation, la guimauve est semblable à une matière plastique, luisante et collante. Elle vient accessoiriser des fruits frais, dans un contraste de couleurs, de textures et de goûts. Puis les coulures, les stalactites, sont transformées en stalagmites. Grâce u retournement du plateau, ils se donnent à voir sous l’aspect nouveau d’un paysage de poche. Cette poudreuse immaculée est un accompagnement possible au café ou à un alcool fort. Il est une invitation à la rêverie, à l’ivresse, à la contemplation. Il sera le point de départ d’un temps particulier, durant lequel le travail laborieux de la digestion change notre état physique et nos esprits. Cette installation prend la forme d’un rituel, pour nourrir le plaisir et son mystère.